Cédric Klapisch : Un esprit de liberté assumé
C’est dans le cadre du Hong Kong French Film Festival que trois fébriles jeunes journalistes ont fait la rencontre de l’affable et mesuré Cédric Klapisch.
Le réalisateur phare du Péril jeune est venu cette année à Hong Kong présenter Ce qui nous lie, film dont le souffle familial et rural fait prendre un tournant champêtre à la filmographie de ce diplômé de NYU, féru de la ville et de la diversité qu’elle engendre.
Rencontre teintée de vent asiatique.
QUESTIONNAIRE DE SEGALEN
Quel est la fleur qui évoque pour vous Hong Kong, ou l’Asie?
Le lotus.
Un oiseau, qui évoque pour vous l’Asie ou Hong Kong?
Le colibri.
Quels sont vos auteurs asiatiques préférés?
Murakami et Taniguchi, au Japon.
Des réalisateurs?
Les cinémas chinois, coréen, japonais sont très différents. Ici, j’aime beaucoup John Woo et moins Wong Kar-Wai, même si j’aime ce que Wong Kar-Wai a créé d’un point de vue esthétique. J’aime également beaucoup le cinéma coréen. Enfin, dans le cinéma japonais, il y a des gens qui sont vraiment importants pour moi : Kurosawa et Ozu.
Est-ce qu’il y a une oeuvre d’art en particulier qui vous évoque l’Asie?
“La Vague” de Hokusai, qui est vraiment très asiatique. Il y a également l’armée en terre cuite de l’empereur Qing Shi Huang Di à Xian, parce que c’est quelque chose de très marquant, qui est propre à l’Asie. Enfin, je pense à un pavillon de thé à Shanghai, qui m’avait beaucoup frappé : l’intérieur en était en laque noire, et c’était pourtant très clair, car la laque noire reflétait l’extérieur.
Est-ce que vous avez un type de nourriture asiatique préféré?
Je viens de manger des dumplings hallucinants, c’est donc ce qui me vient spontanément à l’esprit. J’ajouterais toute la gastronomie japonaise : sushi, sashimi, et ramen.
Quel est votre état d’esprit actuel?
Je suis assez curieux de découvrir Hong Kong, il y a quelque chose qui m’attire beaucoup ici. Il faut que j’aille me promener.
L’ENTRETIEN
Maintenant que nous vous connaissons un peu mieux, passons à votre travail. Dans votre filmographie, avec le recul des années, y aurait-il un film ou une scène que vous souhaiteriez tourner différemment avec le recul ?
Non, pas tellement. Je m’étais dit cela sur mon premier long métrage parce que je ne me sentais pas assez compétent pour une histoire que je trouvais très entière. Mais une scène est très liée à l’instant où on la tourne, donc finalement cela me paraîtrait absurde de repasser derrière. Il y a une notion de fraîcheur quand on fait un film, qui ne peut être reproduite.
Comment déterminez-vous qu’une ville est intéressante à filmer ou non ? Vous parliez de la difficulté de filmer Londres et pourtant cette ville apparaît dans Les Poupées russes.
À Londres, je me suis concentré sur les espaces touristiques : Piccadilly Circus, les grands bus rouges… Ce qui est beau à Londres, ce sont ces rues aux maisons identiques, avec leurs portes colorées, des endroits tellement emblématiques que vous vous dites : “Ah oui, là c’est Londres !”. Il y a aussi les parcs. Ainsi dans le film, Hyde Park et Regent’s Park sont les endroits qui transparaissent le plus.
Je n’ai pas d’a priori quand je filme une ville, mais il est vrai que c’est plus évident dans une ville comme St-Petersbourg où il y a des éléments particuliers, comme les canaux qui ne ressemblent absolument pas à ceux d’Amsterdam par exemple. Ce sont ces éléments particuliers, spécifiques à chaque ville, que je cherche à filmer.
Chaque ville s’organise plus ou moins différemment. Ainsi, si on prend le rapport à la mer de quatre grandes villes comme Marseille, New-York, Tel-Aviv ou Barcelone, le fonctionnement de chaque ville est sensiblement différent.
Ici à Hong Kong, la ville s’organise surtout autour de la baie et de la montagne. C’est un peu le même genre de fonctionnement qu’à Barcelone où la ville descend en pente jusqu’à la mer.
Vous faites régulièrement appel aux même acteurs, notamment Zinedine Soualem ou Romain Duris que vous avez révélé au public. Est-ce qu’ils représentent pour vous une conception particulière du cinéma ou du jeu d’acteur?
Non, parce que je pense qu’un acteur à la base ne représente rien. Ce qui m’intéresse, c’est la chimie qui se crée entre nous. Avec Romain [Duris] il y a eu très vite une chimie particulière, pareillement avec Zinedine [Soualem]: pour moi, personne n’est drôle comme lui dans le sens où c’est exactement ce que je cherche en comédie, il a une sorte de sérieux incroyable qui le rend irrésistible.Très souvent, un réalisateur cherche un complice, un allié… On m’a souvent demandé si Romain Duris était mon alter ego parce que j’ai tourné sept films avec lui, et pourtant ce n’est pas le cas. C’est-à-dire que même dans la trilogie de l’Auberge Espagnole, il n’est pas censé me représenter. Je sais que ce type de relation existait par exemple entre Truffaut et Jean-Pierre Léaud, Truffaut ayant souvent dit de Jean-Pierre Léaud qu’il était son alter ego. En l’occurrence, Romain Duris est très différent de moi, c’est un peu la relation qu’on a avec son meilleur ami : une complicité très forte qui se nourrit des différences.
Avec un acteur c’est souvent cela aussi : un rapport fort avec quelqu’un d’assez différent.
On parlait à l’instant de Romain Duris qui joue souvent un rôle d’homme à la recherche de lui-même, la quête de soi et la construction de l’individu face à la société semblent très importantes pour vous. Pourquoi?
Il se trouve que je parle souvent de jeunes gens, dont le problème est de savoir qui ils sont : entre quinze et vingt-cinq ans ou même trente ans, on se cherche, les enjeux sont forts. Plus tard, on est sur des rails, on a trouvé ce que l’on veut faire, avec qui l’on veut être, etc. Je raconte des histoires peu spectaculaires, dans le sens où je ne fais pas de James Bond. J’estime que c’est intéressant de filmer ces moments compliqués, assez violents, qui font partie de la construction de chacun.
Vous ne connaissez pas Hong Kong, mais y a-t-il un endroit que vous aimeriez particulièrement visiter, un endroit qui vous plaît?
J’ai beaucoup aimé les escalators et j’ai très envie d’y retourner pour me promener. Je ne connais pas Hong Kong, en dehors des images habituelles de la densité de population, des immeubles très resserrés… Cet été, j’ai revu des photos de Wolff, un photographe allemand, qui résume tout ce que je connaissais de Hong Kong.
Je ne connais pas beaucoup de films tournés à Hong Kong, si ce n’est Chungking Express de Wong Kar-Wai. Être ici me donne envie de revoir ce film que j’avais beaucoup aimé. Il y a un avant Chungking-Express et un après. Beaucoup de gens imitent ce film esthétiquement. Avec Blade Runner de Ridley Scott, ce sont les deux films qui ont inventé les rues éclairées, très colorées la nuit.
Dans ce cas, vous voyez-vous peut-être tourner un film à Hong Kong un jour?
Oui. C’est ce que j’ai dit d’ailleurs à Anna Girardot. Nous voyageons ensemble, et nous sommes passés de Singapour à Séoul, de Séoul à Hong Kong, et autant j’ai beaucoup aimé la Corée, autant il n’y a rien à filmer là-bas pour moi (rires). C’est incroyable à quel point Séoul est une ville qui me semble dure à filmer. Idem pour Londres, alors qu’à Hong Kong, il y a tout de suite des choses à filmer : il y a une véritable nourriture visuelle. Idem pour Venise, New York évidemment, mais il y a aussi des villes où c’est plus compliqué. C’est le cas de Berlin selon moi.
Hong Kong est vraiment une ville qui, comme New York, fabrique des choses à montrer, c’est une ville qui est tout le temps en mouvement et tout le temps en fabrication. Ce sont vraiment des villes qui ont envie d’être photographiées et filmées.
Vous avez réalisé de nombreux films sur la jeunesse, on pense bien sûr au Péril Jeune et à son humour incendiaire, et vous semblez avoir évolué avec Ce qui nous lie vers des horizons très différents. Vous reverriez- vous faire un film sur la jeunesse?
J’ai justement deux projets. Le premier est une sorte d’adaptation de l’Auberge Espagnole, basée sur une colocation d’étudiants à New York… Je pense aussi à une comédie où l’on risque de retrouver des conneries comme avant (rires).
Mais le fait est que j’ai cinquante-six ans. Quand j’ai fait le Péril Jeune, j’en avais trente. Nos années lycée n’étaient pas si éloignées, ni pour moi ni pour mes scénaristes. Je me souviens que l’on parlait souvent du fait qu’on se sentait du côté des élèves. Par la suite, un de mes deux scénaristes est devenu professeur et il a très mal vécu le fait d’être de l’autre côté de la classe ! Il n’a enseigné qu’un an ou deux parce qu’il ne le supportait pas, il avait envie d’être au fond de la classe à raconter des conneries alors qu’il était devant à demander le silence. Il y a un moment quand on vieillit où on est obligé d’endosser ce rôle-là.
Aujourd’hui quand je raconte des histoires, notamment dans Ce qui nous lie où je montre des gens qui ont entre vingt-cinq et trente ans, je le fais avec le point de vue de quelqu’un de 56 ans qui n’est plus dans l’idée de rester le cancre du fond de la classe.
Avant, je n’aimais l’idée de vieillir pour cette raison là (rires) maintenant, j’assume. D’une part, j’ai trois enfants donc je dois tenir mon rôle de père mais au-delà de cela, l’idée d’assumer le fait de vieillir est importante. Pour moi le jeunisme est ce qu’il y a de pire, l’idée selon laquelle parce que je raconte des histoires sur des jeunes, je me comporterais comme eux. Je rejette cette attitude. C’est un fait, je n’ai plus vingt ans !
J’ai compris en faisant le Péril Jeune qu’une des valeurs essentielles pour faire un film, c’est la sincérité. Et la première sincérité, c’est d’être en cohérence avec mon âge.
Pensez-vous que si le personnage de Tomasi (Le Péril Jeune) avait survécu, il aurait succombé à ce syndrome de jeunisme?
Ah… (rires) bonne question. Pour moi, l’esprit du Péril Jeune c’est l’esprit de Charlie Hebdo, d’ailleurs le titre vient d’une une de Charlie Hebdo. C’était l’esprit qui dominait quand j’avais 15 ans, aux débuts mêmes de Charlie Hebdo. Il y avait une vraie résonance avec ce que j’étais et avec l’époque.
J’ai compris au moment du drame de Charlie Hebdo il y a trois ans que ce n’était pas seulement un attentat mais la volonté de tuer un esprit, une époque, quelque chose de très français.
Pour revenir sur cette idée de jeunisme, Cabu que j’aimais beaucoup, tournait assez vieux con sur la fin, selon moi. Lui qui avait incarné cette jeunesse qui ne peut vieillir, devenait vieux et aigri… J’ai réalisé que l’on peut vieillir.
Il y a des gens qui peuvent y échapper, on se demande s’ils vieilliront jamais, regardez les Rolling Stones par exemple ! Mais même dans ce cas, il y a quelque chose d’un peu factice.
En l’occurrence, j’ai toujours dit que le personnage de Tomasi représentait tous ces gens morts très jeunes et qui restent emblématiques d’un esprit, d’une époque : Jimi Hendrix, Janis Joplin, Che Guevara, Jim Morrison, Bob Marley. Finalement cela leur va mieux d’être mort jeunes.
En fin de compte, Le Péril Jeune parle plus des quatre amis restants : ils ne sont pas comme le personnage de Romain Duris et pourtant ils veulent garder cet esprit de liberté, de jeunesse.
Le cinéma ne cesse d’évoluer. Est-ce que vous avez constaté, ressenti des changements majeurs dans le cinéma au fil de années?
Oui, parce qu’en tant que réalisateur, je suis issu d’une génération qui est vraiment née dans les années 90, et je vois à quel point nous avons des choses en commun : nous avons vu l’arrivée d’Internet, celle du numérique. Les outils ont changé. Jacques Audiard m’a dit un jour : “Un jour quelqu’un comparera les scénarios qui ont été écrits à l’ordinateur aux scénarios manuscrits, et on se rendra compte que ce ne sont pas seulement les caméras qui ont changé, le matériel sonore, le matériel de montage.”
C’est-à-dire que, depuis que l’on écrit sur ordinateur, depuis le copier-coller, on n’écrit pas les mêmes histoires. L’écriture envisage davantage le montage. L’usage de l’ordinateur pour écrire s’est répandu vers 1990. Cela a changé la façon de raconter les histoires.
Par ailleurs, il est vrai que les outils numériques, c’est-à-dire les caméras numériques et le montage numérique, changent radicalement la façon de monter. C’est flagrant pour le son. Par exemple, je suis né avec la stéréo, que j’ai utilisée pour mon premier long-métrage. Avant les années 90, il y avait une culture du cinéma en mono avec un haut-parleur dans un cinéma, alors que maintenant on en est à sept ou quinze, cela modifie considérablement les choses. Les grands réalisateurs du son comme Godard, David Lynch ou encore Tati ont travaillé en mono. Leur travail sera radicalement différent aujourd’hui.
Vous avez réalisé un documentaire sur la danseuse Aurélie Dupont, et d’une manière assez générale, le corps et le mouvement semblent centraux dans votre travail. Quel relation entretenez-vous avec ceux-ci, par rapport au visuel et au dialogue?
Il est vrai que j’ai toujours été un grand amateur de danse. J’ai beaucoup vu de ballets, surtout contemporains, et lorsque j’ai tourné Les Poupées Russes, j’ai commencé à aller voir des ballets classiques, ce que je n’avais jamais fait avant. Ensuite, j’ai fait ce film sur Aurélie Dupont, ce qui m’a amené à passer beaucoup de temps à l’Opéra de Paris, à filmer tout, aussi bien danse classique que contemporaine, et j’adore ça.
Il y a quelque chose que je trouve extrêmement cinématographique dans la danse car il y a vraiment quelque chose du rapport humain en mouvements. Le mot “cinématographe” signifie enregistrer du mouvement. Pour moi, le cinéma doit servir à cela.
Du coup, la danse m’intéresse, la chorégraphie m’intéresse : dans la mise en scène, cette notion de chorégraphie est vraiment importante, c’est-à-dire comment placer les gens, comment les faire bouger, comment ils vont se tenir, s’ils doivent bouger tout en parlant… Ce sont des questions de mise-en-scène de base. Plus on se les pose, plus on est original. En effet, faire du champ contre-champ avec deux personnes assises l’une en face de l’autre est très vite ennuyeux. La chorégraphie est donc importante pour moi.
Votre esthétique semble faite d’une part de plans colorés et, d’autre part d’une importante utilisation de la mise en abyme. Y a-t-il des influences qui vous poussent dans ces directions?
Pour ce qui est de la couleur, cela m’est venu assez tard. En effet, au départ je viens de la photographie, du noir et blanc. Adolescent, je me suis posé la question de savoir si je ferais de la photographie ou du cinéma. Ma culture photographique est celle du noir et blanc : Cartier-Bresson, William Klein, tous ces grands photo-reporters qui font du noir et blanc. Assez tard, au moment de mes premiers longs-métrages, la couleur a commencé à vraiment m’intéresser et j’ai découvert à quel point en peinture, en photographie, au cinéma, il y a des gens qui ont un sens de la couleur. Les peintres par exemple, des gens comme Bonnard, De Staël, Morandi, et tous les Fauves, ont un rapport fort à la couleur. En photographie, Harry Gruyaert et Alex Web sont deux photographes coloristes chez Magnum, ceux qui m’influencent le plus, parce qu’ils ont un vrai sens de la couleur et que c’est rare… Wolf aussi a vrai sens de la couleur.
La couleur, un peu comme ce qu’on disait sur le mouvement, a vraiment quelque chose à voir avec le cinéma et les images, dans le sens où elle harmonise les tons. Avec des couleurs, c’est comme des sons, on est obligé d’harmoniser sinon cela se transforme vite en cacophonie et on perd le regard, c’est une vraie difficulté mais une difficulté qui m’intéresse.
Pour ce qui est de la mise en abyme, c’est quelque chose qui me plaît depuis toujours. J’ai fait une maîtrise de cinéma dont le sujet était : Le non-sens au cinéma : 6ème sens du 7ème art. En fait, le non-sens c’est justement les films qui font des mises en abyme, soit visuelles, soit qui intègrent un film dans le film lui-même. Je parlais dans mon mémoire de Tex Avery, des Marx Brothers et de Woody Allen, qui ont tous en commun la façon de jouer avec le fait que l’œuvre est un film en train de se faire. Par exemple chez Tex Avery, il y a quelqu’un qui court, qui glisse dans un tournant pour sortir de la pellicule avant de revenir dans la pellicule.
C’est de la mise en abyme. J’aime cela parce que c’est un humour qui est lié au deuxième degré, et j’y suis sensible.
Vous semblez très attaché à la France, et on trouve en même temps un grand cosmopolitisme dans vos films. Sachant que vous avez étudié à New York, comment est-ce que le cinéma américain vous a influencé? L’importance que vous donnez aux relations multiculturelles dans vos films peut-elle s’expliquer par ce séjour américain?
Il y a deux choses : d’une part, je m’appelle Klapisch, qui est un nom juif-polonais. Je ne suis jamais allé en Pologne mais je ne peux nier cette origine.
D’autre part, j’ai étudié deux ans à New York, de vingt-trois à vingt-cinq ans.
Ces deux choses-là me rendent plus sensible aux questions du voyage, de l’immigration, aux questions multiculturelles.
Pour l’immigration : mes arrière-grands-parents sont venus de Pologne pour vivre en France. Pour les questions d’expatriation : le fait de dire “Français qui étudie à New York”, ou dans Ce qui nous lie, le personnage de Jean qui fait le tour du monde, vit en Australie, revient en France et se demande s’il veut vivre plutôt en Australie ou en France, tout cela ce sont des questions qui m’intéressent.
Elles m’intéressent, pas uniquement d’un point de vue personnel, mais parce que le monde fonctionne comme cela aujourd’hui.
Je pense que les gens du Front National se trompent, notamment quand Marine le Pen parle de l’identité française. La France a toujours été une terre de mélange : dans son livre sur la Gaule, Jules César parle du fait que les Gaulois sont un mélange de peuples. Cela ne remonte donc pas aux années 50 ou 70.
Quand on connaît l’Histoire, on voit à quel point ces histoires de migrations sont très anciennes, donc je trouve que c’est une erreur de parler d’identité française au sens d’unité raciale.
Est ce qu’il y a un endroit qui vous est cher et où vous voudriez peut-être un jour faire un film?
Le Japon. Hong Kong aussi : je vois des choses depuis deux jours qui donnent envie.
Par ailleurs, j’aime bien tourner en province, c’était vraiment super en Bourgogne et il y a d’autres régions en France où j’aimerais bien tourner.
Bizarrement, dans le cinéma, il y a un besoin de terres inexplorées. Quand j’ai réalisé L’Auberge Espagnole, très peu de gens avaient tourné à Barcelone. Je me suis dit: « Je vais tourner là-bas parce qu’il n’y a pas d’images de cette ville ».
Quand j’étais à New York, plutôt que de tourner à Times Square, j’ai choisi Chinatown, parce que ce n’était pas tellement filmé.
Il y a l’idée de montrer des choses peu vues, de créer un nouveau regard.
Vous avez travaillé sur la série télévisée Dix pour Cent et vous avez évidemment travaillé sur beaucoup de films. Est-ce que pour vous il y a une différence entre travailler sur une série télévisée et travailler sur un film?
Bizarrement, c’est le même métier mais c’est très différent. Il y a un rapport au temps qui n’est pas le même. Dans une série télé, on écrit très longtemps, et on tourne très vite : onze jours de tournage par épisode, ce n’est rien.
Pour donner un point de comparaison, les deux films les plus courts que j’ai tournés, Le Péril Jeune et Chacun cherche son chat, ont demandé chacun 25 jours de tournage, soit presque trois fois plus qu’un épisode de Dix pour Cent.
C’est aussi très intéressant de raconter une histoire qui se déroule sur cinq, six heures et non sur une heure et demie, deux heures.
Est-ce que vous avez une préférence entre les deux?
Ce sont deux plaisirs très différents. Cela constitue sans doute la même différence pour un styliste qui passe de la haute couture au prêt-à-porter. Il n’y a pas nécessairement de préférence, c’est un travail très différent. La télé, c’est vraiment du prêt-à-porter – ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de création – et avec la haute couture, il y a le plaisir d’invention, de sophistication, d’aller jusqu’au bout d’une idée, de créer une esthétique etc.
Vous n’avez pas été accepté à l’IDHEC, mais maintenant vous avez énormément de succès. Auriez-vous des conseils pour de jeunes réalisateurs?
Ces échecs m’ont traumatisé. J’ai passé deux fois le concours, quand j’avais dix-huit ans, puis vingt ans. Je pensais que je ne ferais jamais de cinéma, que j’étais nul, …
Et … non, en fait! Je ne suis pas nul. J’ai réussi à intégrer une autre école, et j’ai réussi à faire du cinéma, ce qui est une grande victoire personnelle. La vie ne s’arrête pas quand on rencontre un échec.
C’est la première chose que j’ai envie de dire aux étudiants, qu’il faut persévérer quand on a une passion, qu’il faut être patient.
L’autre chose, c’est la curiosité. Il faut être, en tout cas pour devenir réalisateur, vraiment curieux et aimer plein de choses. Il faut aimer la littérature, aimer raconter des histoires, connaître le théâtre, connaître la photographie, le montage. Il faut avoir des goûts assez éclectiques : c’est bien de pousser la curiosité, d’aller voir des expositions, de lire des livres, de prendre des photos, d’écouter de la musique, parce que chaque chose aide. Il y a vraiment quelque chose dans le cinéma qui fait qu’on est obligé d’être un peu un touche-à-tout. Aucun réalisateur ne fait les choses de la même façon : certains viennent de la peinture, sont donc très forts sur la composition de l’image, sur la lumière et la couleur. D’autres sont acteurs et deviennent réalisateurs, d’autres encore sont écrivains et deviennent réalisateurs. Le point de départ n’est jamais le même.
Eloïse, Marie et Zoé